Joie ! Bonheur ! Et félicité !
Par ȷulmud le jeudi 10 mars 2005, 20:35 - Bande dessinée - Lien permanent
Pourquoi tant de cris de joie ? Simplement parce que je viens de lire l'excellent premier tome de la série Le vent dans les sables. « Mais qu'est-ce ? » vous demandez-vous sûrement... Lisez la suite pour le découvrir !
Intitulé Invitation au voyage, ce premier tome nous permet de renouer avec ces vieux amis Taupe, Crapaud et Rat. Oui, « renouer, » car cette série est une suite sans en être une de l'excellent Vent dans les saules.
Là, je pense que j'ai dû perdre les trois quarts de mon lectorat,[1] je vais donc reprendre au commencement. Il était une fois un roman pour enfants intitulé Le vent dans les saules, écrit par Kenneth Grahame au début du XXe siècle, qui est devenu un grand classique de la littérature enfantine en Angleterre. Ce roman nous narre les aventures de Rat, Taupe, Crapaud, Blaireau et leurs amis à la poursuite de Crapaud qui se prend de folie pour les automobiles, fait énormément de dégâts sur son passage et vivra plein de (més)aventures. Tout cela est écrit avec beaucoup d'humour et présente une belle réflexion sur ce qu'est le bonheur et de savoir si on a plus de chances de le trouver chez soi au bord de sa rivière (Rat est effectivement un rat d'eau) ou en partant loin à l'aventure.
Bien des années plus tard, Michel Plessix s'est mis dans la tête d'adapter ce roman en bande dessinée. Et il a réussi un coup de maître. Il a réalisé une magnifique œuvre en quatre tomes[2] avec un trait et des personnages d'une douceur exquise. De plus, la mise en couleurs aux crayons augmente encore ce côté chaleureux du trait. C'est un bonheur à lire de bout en bout, vous colle un sourire sur les lèvres pour des heures à venir ensuite. Ah, il faut quand même que je vous prévienne : oui, c'est bien une BD animalière anthropomorphique. C'est un style avec lequel beaucoup de gens ont de la peine (et j'en faisais partie à une époque), mais dans ce cas-là, les personnages sont tellement sympathiques, semblent vivre une vie tellement agréable que l'on a qu'une seule envie : les rejoindre autour d'une bonne table et tailler une bavette avec eux.
Mais voilà, il y a un gros problème... c'est que l'histoire est finie en quatre tomes et ces personnages sont tellement attachants que l'on a terriblement envie de continuer de passer du temps en leur compagnie. Heureusement pour nous, Michel Plessix semble être du même avis. Il a donc décidé de leur donner de nouvelles aventures et c'est ainsi qu'est né Le vent dans les sables. Ce premier album débute à l'arrivée de l'automne dans la région où vivent nos amis et (presque) tous les animaux préparent leur départ vers des contrées plus chaudes. Rat, lui, se promène simplement et apprécie fortement cette arrivée d'une nouvelle saison. Il aura notamment une conversation avec des hirondelles qu'il essaiera de convaincre de rester, tandis qu'elles tenteront de le convaincre des charmes des pays étrangers. Finalement, au détour d'une pause au bord du chemin, Rat fera la connaissance d'un rat bourlingueur et tatoué qui lui parlera de ses voyages autour d'un pique-nique. Et je vais m'arrêter là pour ce résumé ; si vous souhaitez découvrir la suite, vous savez ce qu'il vous reste à faire.
C'est un véritable bonheur de retrouver ces personnages et le dessin de Plessix. Comme je l'ai dit, son trait est très doux et qui transmet plein d'émotions dans un simple frémissement de moustache. Mais c'est surtout cette mise en couleurs, sublime, qui apporte beaucoup. Et ce que j'adore particulièrement, ce sont toutes les petites saynètes que l'on voit en arrière plan : une mouche qui cherche son ami Raymond, une fourmi qui fait un numéro de claquettes pour une autre, les hirondelles qui perdent leur guide de voyage, etc. C'est vraiment pour moi l'exemple type de la BD « feel good. » Le seul regret, c'est que lorsqu'on arrive à la fin de ce premier tome on a déjà envie de se ruer sur le suivant... et le choc est terrible quand on réalise que l'on va devoir passer environ une année sans la compagnie de Taupe ou de Blaireau.
En résumé : Invitation au voyage, premier tome de Le vent dans les sables, par Michel Plessix aux éditions Delcourt dans la collection Jeunesse. Plus de détail sur cet album.
Commentaires
En fait (enflage de chevilles en vue), Michel Plessix attendait avec impatience la tombée du roman dans le domaine public pour pouvoir développer ses histoires. Je suis très curieux de lire ça (c'est dans un paquet de la Poste en ce moment) parce que j'ai été un peu déçu par la première série. Pas par le travail graphique mais par l'esprit de la chose. Je m'explique: je suis un fan de Macherot (Sybilline, Clorophyle, Chaminou...) et, naïvement, je pensais retrouver la même verve dans ces albums. Plessix n'est pas Macherot, ce serait idiot: on a donc une histoire beaucoup plus contemplative, avec un léger charme suranné. Dans les derniers tomes, il y avait quelques problèmes narratifs dus à l'extrême précision et finesse du dessin (à mon avis, je pense notamment à une scène de bagarre compliquée à lire). Je ne veux pas terminer sur une note négative, et il faut souligner l'extraordinaire talent graphique de Plessix qui fait un travail artistique exceptionnel dans la lignée des grands illustrateurs que j'aime.
Le côté contemplatif est déjà très présent dans le roman, ce n'est donc guère étonnant qu'on le retrouve dans cette adaptation. Mais si c'est ce qui t'a gêné dans la première série, tu risques d'être déçu par ce nouveau tome ; en même temps, ce n'est qu'un tome d'introduction, difficile de prévoir l'évolution de l'histoire. (Par contre, je ne connais pas assez l'œuvre de Macherot pour comparer...)
Tiens, c'est bizarre, on arrive quand même à se trouver des goûts communs...
Il faut quand même que je reconnaisse une qualité dans tes choix qui dépasse le simple "Largo Winch+Laufeust+Blake et Mortimer" qui amènent mes commentaires. Ensuite, il y a probablement un problèmes philosophique à la base
Mon grand drame, c'est de justement me dire que pour nos petits-enfants Largo Winch ou Lanfeust joueront le rôle que Tintin a joué pour ma génération (la BD transmise de génération en génération depuis les parents ou grands-parents, et que tout le monde a lu). Autant je reconnais un rôle important de pionnier à Hergé (bien que je n'aime pas du tout Tintin), autant je trouve les BDs de style Largo ou Lanfeust vides de sens et qui n'apportent rien.
C'est pourquoi j'essaie ici de parler de BDs qui me touchent, me plaisent ou que je trouve « innovantes, » mais en restant avec des choix suffisamment accessibles pour espérer toucher un peu mon lectorat. (Bon, tu pourrais me rétorquer avec raison qu'Andreas n'a pas grand chose d'accessible. ) Il est vrai que je pourrai aussi parler des exercices de style Oubapistes de l'Association ou des œuvres de Chris Ware, mais là je pense que les trois personnes qui lisent encore ce blog arrêteraient définitivement.
En tout cas, je t'assure que j'apprécie énormément cet échange d'opinions que nous avons à travers ce blog.
Tout à fait d'accord pour le fait que Plessix a suivi la philosophie du livre et qu'il n'est pas fautif sur une partie de la philosophie tranquille de l'histoire. Mais je crois qu'il ne faut pas hésiter à parler des choses que l'on aime vraiment, même si c'est difficile comme Chris Ware. Sinon, comment les gens sauront que ça existe
C'est bien pour ça que je tartine sur Andreas
Je trouve quand même qu'amener les gens à découvrir le monde de la BD par des œuvres comme celles de Chris Ware, c'est probablement le meilleur moyen de les dégouter à jamais de cet univers. Car pour bien apprécier Chris Ware, il faut quand même déjà bien connaître les codes de lecture, ce qui n'est de loin pas évident pour tout le monde. De plus, la « dé-structuration » de l'histoire d'un Jimmy Corrigan fait qu'il n'est pas évident de suivre... Alors si on présente ça a des néophytes, en accompagnant le tout de discours du genre
J'en ai un très bon exemple dans ma famille : ma mère. Elle me voit dévorer les BDs et se dit qu'il doit quand même y avoir des choses intéressantes, mais elle reconnaît ne pas réussir à y entrer car elle ne possède pas les clés de lecture. J'essaie de temps à autre de lui proposer lectures qui puissent lui plaire. Je crois que les deux dernières que je lui ai prêtées c'était Soupe froide et Quartier lointain (tiens, il faudrait que j'en parle plus en détail de celle-ci un jour). Elle a bien aimé l'histoire de Soupe froide, mais n'a pas été acrochée par le dessin ; je reste persuadé qu'elle aurait trouvé tout cela bien plus intéressant écrit sous forme de roman. Pour Quartier lointain, elle n'a trouvé aucun intérêt à l'histoire.... (du coup, je me demande si elle a déjà eu l'envie de retrouver l'époque de son adolescence avec son vécu et ses connaissances actuelles... il me semblait pourtant que tout le monde avait eu au moins une fois cette envie). Avec une personne comme ma mère, Chris Ware est presque persona non grata...Moi j'ai mon père dans le genre. Quand il passe à la maison (mes parents habitent à Tahiti) ça lui plaît bien d'essayer de lire quelques albums mais il faut que ça évoque des échos en lui pour qu'il accroche. Alors évidemment, Chris Ware (oups, j'ai oublié de dire que je n'ai pas réussi à lire son pavé). Par contre il a beaucoup aimé Giardino (le côté classique/adulte je suppose) et même Jano (il a été en Afrique). Dans le cas de Chris Ware on a le droit de parler de son importance sans l'imposer en découvertes. C'est comme la Jetée de Chris Marker ou Lost Highway de Lynch.