La Corée du Nord est le pays le plus fermé du monde. Les informations provenant de ce pays, tout comme tous les étrangers s'y rendant, sont soigneusement filtrés. Mais en lisant cette BD, on se rend compte à quel point ce « filtrage » est également exercé à l'intérieur du pays. Delisle (auteur et personnage principal du livre, puisqu'il s'agit d'un récit auto-biographique) profite d'ailleurs de son temps en Corée du Nord pour relire 1984 de George Orwell, et il tire quelques parallèles entre cette fiction et la réalité qu'il vit. Il essaiera également de faire lire ce livre à son traducteur, sans beaucoup de succès semble-t-il. ;-)

On prend également conscience de la misère dans laquelle est plongé ce pays et qu'il essaie de cacher au reste du monde. Par exemple, toute la ville est privée d'électricité, à l'exception des étages où logent des étrangers dans les hôtels. Ou encore les animateurs du studio qui sont payés en sacs de riz... Et à côté de ça on montre les réalisations grandioses du « peuple » aux étrangers : une magnifique autoroute à quatre voies reliant Pyongyang à un musée (à la gloire du très estimé leader Kim Jong-Il bien sûr) qui n'est jamais utilisée par d'autres personnes que les étrangers, et qui n'a pas de sorties autres que celles de la capitale et du musée ; ou le splendide métro, construit tellement profondément qu'il peut servir d'abri en cas d'attaque nucléaire, et décoré avec de sublimes chandeliers. Par contre, les constructions abandonnées (un hôtel non terminé qui était prévu pour les JO en 1988) ou « normale » (la gare) semblent être invisibles aux yeux des coréens, et en tout cas interdites d'accès aux étrangers.

Et encore le lavage de cerveau vécu quotidiennement par le peuple... Une fois, le traducteur de Delisle lui explique très sérieusement que tous les coréens naissent forts, intelligents et en bonne santé lorsque l'auteur s'étonnait de ne pas avoir vu un seul handicapé. N'oublions pas non plus l'omniprésence des portraits de Kim Jong-Il et Kim Il-Sung (dans chaque pièce, sur chaque immeuble, en pin's sur chaque veste, ...)

Vraiment une BD qui nous ouvre les yeux sur le mensonge quotidien pratiqué dans ce pays. Bien entendu, le point de vue est forcément subjectif, puisqu'il s'agit d'un carnet de voyage (quelque peu scénarisé pour rendre le tout cohérent) et non pas d'une étude. Mais ce format de carnet de voyage nous permet, je pense, de mieux appréhender ce que vivent les quelques coréens privilégiés qui ont des contacts avec les étrangers. Et Delisle nous fait bien comprendre que ces gens sont justement des privilégiés. Toutefois, je reste avec une grande interrogation : comment font les dirigeants pour réussir à vivre et entretenir ces mensonges depuis au moins cinquante ans ? Car je pense bien qu'eux ne sont pas dupes et qu'ils savent à quel point tout est de l'esbroufe. Qu'est-ce qui les motive à entretenir ce mythe ? Seulement le pouvoir et la belle vie ? Je pense qu'on ne le saura malheureusement jamais...

Édité chez L'Association, dans la collection Ciboulette. Pour plus d'infos : détails pour ''Pyongyang''.